Lone Raffray et le Dr. Christine Griffiths nous en disent plus sur l’état des forêts à l’île Maurice et les mesures prises par leur organisation afin de les réhabiliter.
Dans quelle situation se trouve la biodiversité de l’île Maurice ?
Maurice possède l'une des flores et des faunes les plus menacées au monde. Ce stade a été atteint en très peu de temps (400 ans seulement). Comme les plantes fournissent nourriture et protection à de nombreuses autres espèces (invertébrés, oiseaux, reptiles, plantes, champignons, bactéries, etc.), la disparition de la forêt tout comme le déclin important de la forêt indigène et endémique ont eu des répercussions sur beaucoup d'autres formes de vie.
Par exemple :
Sur les 27 espèces connues d'oiseaux terrestres endémiques, 16 sont éteintes
Sur les 17 espèces connues de reptiles, 5 sont éteintes
Sur les 125 espèces connues d'escargots, 43 sont éteintes
Et une seule espèce de chauve-souris mauricienne frugivore survit encore : les deux autres sont éteintes.
Il existe également d’autres menaces telles que le changement climatique, les maladies et les espèces envahissantes. La biodiversité de l’île est donc dans un état critique. Maurice reste une île océanique et isolée depuis longtemps : son écosystème est fragile. Les espèces indigènes et endémiques ne sont pas capables de s'adapter rapidement à des changements tels que la prédation ou la compétition d'espèces envahissantes.
Quel rôle joue la biodiversité ?
La biodiversité joue de nombreux rôles ayant un impact sur l'Homme ainsi que sur d'autres espèces, et ce dans divers domaines : médecine et santé, agriculture, commerce, services écosystémiques tels que le cycle des nutriments, formation des sols, eau douce, éducation, bienfaits spirituels et récréatifs, régulation des maladies, régulation des inondations et du climat…
Quelles actions sont entreprises à Maurice, et plus particulièrement à Ebony Forest ?
À Ebony Forest, nous avons désherbé sur plus de 16 hectares et planté plus de 140 000 plantes indigènes afin de restaurer la forêt. Nous remercions le groupe IBL de nous avoir aidés à préserver et à reboiser un hectare d'arbres endémiques. Notre objectif est de restaurer 50 hectares. Le désherbage est un engagement sur le long terme, car la végétation exotique reste envahissante. La restauration d'un site nécessite beaucoup d’entretien, avec un désherbage régulier, jusqu'à ce que la forêt indigène établisse une canopée qui exclura ainsi la végétation exotique à la recherche de lumière.
Les plantes exotiques envahissantes sont l’une des plus grandes menaces pour notre biodiversité, car les plantes indigènes poussent lentement, tandis que les plantes exotiques poussent beaucoup plus vite et remplacent donc les espèces indigènes. Il reste moins de 2% de forêt indigène à Maurice – mais il y en a probablement beaucoup moins, car cette statistique date des années 1990.
La propagation des espèces rares et menacées est assurée par Ebony Forest, la Mauritian Wildlife Foundation, le Forestry Service et le National Parks and Conservation Service : c’est une mission importante, car ces espèces sont réintroduites dans la nature. Avec l'extinction de nombreuses espèces permettant de disséminer les graines (par exemple les tortues géantes, les geckos géants ou les perroquets aptères), les plantes dépendent beaucoup des êtres humains pour s'établir dans certaines zones.
Le contrôle des cochons, des singes et des cerfs est également essentiel, car ces mammifères qui ont été introduits sur l’île sont préjudiciables à la forêt : ils détruisent les graines, mangent les semis et même les sujets adultes de nombreuses espèces indigènes. À Ebony Forest, nous avons clôturé notre espace pour empêcher les cervidés et les cochons de s’y aventurer. Dans d’autres endroits de Maurice, les gens capturent et contrôlent la population de cerfs et de cochons.
Des ONG telles que Reef, Lagon Bleu et MMCS éduquent les gens. Restaurer les forêts, comme nous le faisons à Ebony Forest, est une mission importante, qui permet de réduire la quantité des sédiments qui pénètrent dans les lagons et impactent l’environnement. Cela permet également de diminuer le nombre d’inondations soudaines et d’améliorer la qualité de l’eau, ainsi que les nappes phréatiques.
La Mauritian Wildlife Foundation fait un gros travail en matière d’élevage en captivité, de réintroduction et d’éducation.
À Ebony Forest, nous avons établi un partenariat avec la Mauritian Wildlife Foundation et le National Parks and Conservation Service pour établir une nouvelle population de pigeons roses et de grosses cateaux vertes. Le niveau de menace du pigeon rose a ainsi été réduit : à ce jour, il ne figure plus sur la liste rouge de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Ce projet a été financé en partie par Ebony Forest et le Fonds de partenariat pour les écosystèmes critiques (Critical Ecosystem Partnership Fund, CEPF).
Nous avons également en captivité une population reproductrice d'escargots menacés. Les escargots sont souvent négligés, mais ils sont extrêmement importants pour l'environnement car ils contribuent au cycle des nutriments. Plus de 33% des espèces d'escargots sont éteintes, et les autres espèces emprunteront probablement le même chemin – à moins de réduire la prédation.
La sensibilisation est cruciale. Si les gens ne savent pas ce qu'ils ont perdu ou ce qui peut être sauvé, ils ne soutiendront pas la conservation de la biodiversité. L'éducation scolaire, à tous les niveaux – primaire, secondaire, enseignement supérieur – ainsi que l’éducation du public est en cours et est assurée par le gouvernement, la Mauritian Wildlife Foundation, Ebony Forest et la Vallée de Ferney.
Valoriser la biodiversité – par exemple via l’écotourisme comme le font Ebony Forest ou l’île aux Aigrettes, ou encore via la production de miel – est essentiel afin que les gens réalisent son importance. Cela doit cependant être fait à plus grande échelle et de manière structurée. À Ebony Forest, tous nos visiteurs sont informés de l’importance de la biodiversité locale, et nous organisons des activités spécifiques pour les enfants des écoles primaires et secondaires.
Faire participer le public et les entreprises au travail de conservation est une nécessité, afin de créer un sentiment de propriété et de montrer que tout le monde peut apporter sa petite contribution.
Pourquoi est-il important de protéger la biodiversité ?
La biodiversité est essentielle au bien-être de notre planète – et nous n'en avons qu'une ! Sa perte aurait un impact significatif sur nos moyens de subsistance et serait irréversible. Si beaucoup de personnes considèrent la biodiversité et la nature comme des entités séparées, nos vies sont cependant étroitement liées à la biodiversité et nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à perdre plus d'espèces ou de diversité génétique. De plus, il existe une forte raison morale à protéger la biodiversité, pour permettre aux générations futures d’apprécier et de bénéficier de cette précieuse ressource.
Quelles sont les contraintes et les menaces qui pèsent sur la biodiversité ?
L'une des plus grandes menaces est le manque de sensibilisation, et donc, le manque de volonté des personnes en ce qui concerne la protection de la faune et des paysages encore existants : on ne peut pas impliquer des personnes si elles ne sentent pas connectées à un projet. L’une des premières choses à faire est donc de souligner la valeur et l’importance de notre biodiversité naturelle. Une autre contrainte majeure est le manque de financements. Or, la protection et la restauration de la biodiversité offrent des avantages énormes qui profitent à la fois à la nature et aux êtres humains, autant au niveau local que mondial.