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“Une société sans drogues est une utopie”, Usha Jugurnauth, field coordinator, Collectif Urgence Toxida

Article publié dans le magazine du Groupe IBL, together n°6.

La 11e édition du IBL on the Move, qui s’est tenue le 15 avril dernier, a soutenu le Collectif Urgence Toxida (CUT). Fondée en 2007, cette ONG est connue comme étant le pionnier de l’implémentation du programme de réduction des risques liés aux drogues, dans la région africaine. L’éradication de la drogue estelle un objectif réaliste ? Usha Jugurnauth*, field coordinator de CUT, nous en parle sans tabou.

Lorsqu’on parle de ‘droger’ à Maurice, de qui parle-t-on précisément ?

Déjà, la façon dont la question est formulée démontre le regard que porte la société mauricienne sur ces personnes. ‘Droger’ est souvent associé à ‘délinquant’. Le UNAIDS publie, chaque année, une liste de terminologies pour des personnes qui consomment des substances spécifiques, ou qui sont touchées par une maladie spécifique. Au sein de CUT, on milite 24/7 pour employer les termes adaptés aux différents types de consommations. On va parler d’un ‘usager de drogue’. Plus on utilise le terme ‘droger’ dans les médias et à grande échelle, plus on fait perdurer une perception négative sur les usagers de drogues, et c’est ainsi qu’ils deviennent victimes de discriminations et de stigmas.

La consommation de drogue ne touche pas que les classes socioéconomiques faibles…

Il y a deux grandes catégories de personnes basées sur leur pouvoir économique. Il y a celle, issue de poches de pauvreté, qui a accès à des produits pas chers. Celle-là même que la société qualifie de ‘droger’, ‘toxicomane’, ou encore ‘délinquant’. Ensuite, il y a les personnes issues de classes économiques supérieures qui vont acheter des produits ‘exclusifs’. Ceux-là se consomment dans les raves ou autres soirées ‘exclusives’. On connaît bien la nuance dans la perception de la société face à ces deux catégories de consommateurs.

On parle de drogues ‘chères’ et ‘moins chères’. Quelles sont les catégories existantes sur le marché de Maurice ?

On a trois types de produits : ‘dépresseurs’, ‘stimulants’, et ensuite ‘perturbateurs’ qu’on appelle des ‘psychotropes’, comme la MDMA, le LSD, les champignons hallucinogènes. Les communautés avec lesquelles nous travaillons et qui vivent dans des poches de pauvreté ont accès aux produits tels que l’héroïne. C’est un produit qui est mélangé à d’autres produits chimiques, comme des cachets de Panadol écrasés. Maurice ne produit pas de drogues et ces mélanges évoluent et se multiplient rapidement, rendant l’identification de celles-ci difficile.

Est-ce la raison pour laquelle le chimique sévit ?

Il est important de parler des conséquences liées à la criminalisation de ces drogues. Contrairement à l’alcool et le tabac, dont l’achat et la consommation sont légaux malgré des effets néfastes sur la santé connus, les catégories de drogues mentionnées plus haut sont sévèrement contrôlées à Maurice. On a donc un nombre d’usagers, ceux qui consomment pour le plaisir et ceux qui en consomment pour éviter un déplaisir – stress, soucis familiaux, entre autres – qui sont dans un contexte où la consommation est illégale. Comment composer avec ces deux réalités ? C’est bien pour cette raison que les produits se vendent à des prix élevés et sont rares sur le marché. Les usagers qui ne peuvent s’en procurer, se retrouvent à consommer des alternatives qui sont des produits retravaillés, mélangés, et dont on ignore la composition.

Reconnaître que ce besoin de consommation est la réalité de nombreuses personnes et revoir les lois répressives liées à la possession et la consommation de drogues, réduiraient les pratiques malsaines, chimiques et dangereuses.

Quelles sont les solutions pour engendrer un véritable shift dans notre manière d’aborder le sujet ?

Aujourd’hui, des campagnes existent pour dire ‘non à la drogue’, mais est-ce qu’on explique pourquoi ? L’addiction est un trouble qui demande un suivi médical. Il faut comprendre comment ça fonctionne, s’informer et encourager une bonne éducation. Offrir un safe space aux personnes curieuses de tester un certain type de drogue comme la MDMA et leur exposer les effets à court et long termes via une personne formée, peut changer la donne.

Il existe, bien sûr, une classification de drogues néfastes, mais il existe aussi une classification de substances non dangereuses pour la santé. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a recommandé d’enlever le cannabis de la classification de substances dangereuses.

Et pourquoi, à Maurice, ferme-t-on les yeux face à la recommandation d’une telle institution reconnue ?

Ne nous voilons pas la face. La drogue est une industrie et elle représente un soussystème économique mondial. Maurice n’y échappe pas. La consommation et les saisies, dont le cannabis, génèrent une importante source économique…

Comment le sujet est-il abordé à l’international ?

Beaucoup de pays se sont rendu compte que vivre dans une société sans drogues est une utopie et ont pu observer les répercussions de sa criminalisation sur la santé et l’équilibre de la société en général. Aux Pays-Bas, il existe des Safe injecting centres où les usagers ont accès à du matériel propre, à des traitements de substitution, ainsi qu’une surveillance médicale pour empêcher des cas d’overdose.

Certaines drogues ont, bien sûr, des effets néfastes mais dans l’histoire de l’humanité, il y aussi des substances qui ont été utilisées lors des rites spirituels. On voit aussi de plus en plus d’études menées pour explorer l’aspect médical de certains produits, notamment les psychotropes dans le traitement de l’addiction au tabac, à l’alcool, et d’autres drogues dures ; ceci sous dose contrôlée, avec l’apport d’un thérapeute et un suivi attentif sur le long terme. On parle aussi du LSD comme solution à la dépression, ou encore du cannabis pour traiter l’épilepsie. Pourquoi, à Maurice, ne pas commencer à explorer les avantages que peuvent offrir certaines drogues au lieu de se fermer et les censurer ?

Peut-être parce que les gens associent cette démarche à un encouragement à essayer les drogues ?

La démarche de CUT met l’accent sur la réduction des risques. À aucun moment nous disons que nous sommes pour ou contre les drogues. Notre démarche est basée sur le respect de l’autre, le droit à l’information, l’éducation sur les bonnes pratiques. Le manque d’information et la désinformation sont nocifs.

Et si les tabous face à la consommation de drogues tombaient soudainement, que se passerait-il ?

La décriminalisation retirerait d’emblée le consommateur de la case ‘criminel’ ou de ‘délinquant’. Le regard que l’on porte sur les usagers de drogues changerait et on le traiterait d’abord comme un individu avec toute la dignité qui lui est dû. Ce serait déjà une grande étape. Ensuite, comprendre ce qui pousse à l’addiction – que ce soit un jeune qui essaye son premier tabac ou une personne curieuse d’essayer le LSD par exemple. Créer un environnement inclusif, sain, avec un accès à des informations vérifiées offrirait un cadre adapté pour une pratique saine.

Le Collectif Urgence Toxida, bénéficiaire de la 11e édition du IBL on the Move

Pour son édition 2023 qui s’est tenue le 15 avril dernier à Azuri Ocean & Golf Village, le IBL on the Move a choisi de soutenir le Collectif Urgence Toxida (CUT). Grâce aux 1  158 inscriptions reçues, ainsi que la contribution des sponsors, un chèque de Rs 790 300 a été reversé à l’ONG. Cette somme servira à financer un de leurs projets qui consiste à offrir un accompagnement médical et psychosocial à des femmes et jeunes filles provenant de 35 familles vulnérables de Baie du Tombeau. Celles-ci, affectées directement et indirectement par la consommation de drogues et l’addiction, se retrouvent privées d’accès à un système de soins complet. Un espace dédié à Baie du Tombeau, aménagé par CUT, accueille chaque semaine ces femmes lors de sessions d’éducation sexuelle. Sur place, elles peuvent également s’approvisionner en produits sanitaires de base, pour elles et leurs enfants. En plus de la donation de fonds à travers le IBL on the Move, l’ONG bénéficiera du soutien de la Fondation Joseph Lagesse qui lui apportera son aide afin que le projet se concrétise et permette à ces femmes bénéficiaires de sortir de l’exclusion sociale dont elles sont victimes.

*Au moment d’imprimer together 6, nous avons appris qu’Usha Jugurnauth ne fait plus partie du Collectif Urgence Toxida. L’ONG poursuit normalement son programme des réductions des risques liés aux drogues. Le projet d’accompagnement médical et psychosocial destiné aux femmes de Baie du Tombeau reste d’actualité et recevra le soutien de la Fondation Joseph Lagesse pour sa mise en place.

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